Carthagène des Indes m’évoque forcément Carthage où j'ai vécu, mais, vous l'avez compris les couleurs ne sont pas le bleu et le blanc. Les couleurs sont une profusion d'orange, d'or, de jaune dans toutes ses nuances, de rouge brique ou cramoisi, de verts amande, anis, pistache, qui se côtoient bord à bord et ont inspiré Mark Rothko (à mon avis).
Les couleurs sous le soleil ou sous la pluie sont une féerie, rythmée par les claustra en bois tourné de toutes les fenêtres sur rue, par les portes cloutées embellies de heurtoirs en bronze patiné qui évoquent des professions : masques léonins pour les militaires, lézards pour les commerçants, poissons pour les marins et sirènes pour qui ?
La vieille ville est toujours close dans ses remparts et dominée par le plus majestueux fort de toute la conquête espagnole, jamais investi, dans les couloirs souterrains duquel on se perd et finit par sortir ailleurs que prévu. Je fais le guide avec sérieux, est-ce un indice de fascination ? Vous répondrez " oui ! " à coup sûr.
Si nous y
sommes revenus, c'est que le pays a une face sombre que nous découvrons grâce à Quentin. Il y a ici plusieurs faces sombres, parfois légères, parfois
dramatiques :
- la musique qui est une obsession franchement débile dans cette région, alors que la salsa de Cali ou la cambia ont
des charmes réels qui s'exportent jusqu'en Europe. Revenu en France, j'apprends que le vallenato et le reggaeton, que nous haïssions, investissent Sarzeau-en-Morbihan !!!
- le climat de la saison humide qui vous anéantit (oui, moi aussi, avec cette clim omniprésente nocive pour les
sinus). Nous sommes moites, cheveux collés, assoiffés en permanence,
sans parler des nuits, englués dans les draps, nez bouché, gorge
cartonnée. Au fil du temps, nous allons savoir nous adapter, il suffit d'être optimiste et patient. La saison sèche, trop ventée peut-être, de décembre à mars, est moins tropicale : ce sera la haute saison pour les aubergistes caribéens.
Cela me fait penser que vous
demandez si j'ai "largué" Sylvie et comment elle survit : c'est "non" (pas
larguée) et c'est "bien", mieux que moi (elle suit son fils avec enthousiasme et détermination).
- la face sombre de la politique sera pour un autre message.
- celle, pire encore, de la malnutrition et de l'exploitation des enfants de certaine communauté aussi.
Le front de mer à Carthagène
Avec
Quentin, il s'agit de la face sombre de l'Administration. Je comprends enfin
qu'en France nous sommes choyés et bien privilégiés !
Les règles de toutes taxes et impositions changent sans divulgation, car il n'y a ni avis d'imposition, ni courrier postal faute d'adresse établie et faute de correspondance, ni messagerie en ligne, et vous
vous trouvez forcément en faute malgré le comptable payé grassement
mais insouciant (comme moi). Il semble que seuls les fonctionnaires de chaque administration soient au courant de ce qu'ils concoctent entre leurs murs clos, et vous prennent de court irrémédiablement.
Pire : vous êtes donc en retard de paiement et vous devez alors verser
une amende disproportionnée (15 fois la somme initiale !!!). Mais vous n’êtes jamais prévenu du retard, et le mois suivant rebelote, ceci sans fin ! Pour 6 mois
d'ignorance, Quentin doit plus de 3 millions de pesos (1500 euros).
Pour corser le coup de massue, il est impossible de payer dans sa bourgade : il faut prendre le bateau et le car pour régler la dette en espèces dans
une ville digne de ce nom et de cette prestigieuse administration.
Voila pourquoi nous résidons à Carthagène à nouveau, à 10h de route du golfe d'Uraba.
Tous les collègues de Quentin sont dans le même cas. Il espère par contre que son nouveau gestionnaire, qui emploie avocats et comptables en ville de Medellín ayant (peut-être) leurs entrées dans les bureaux de l’État, prouvera son efficacité et son entregent...
Au fond de la rade de Carthagène
soldé par de lourdes pertes britanniques.
Cette carte prouve que la rade de Cartagena de Indias n'a rien à envier à celle de Brest.
Cette carte prouve que la rade de Cartagena de Indias n'a rien à envier à celle de Brest.
Pierre
PS : Nous n'avons pas pris le car, le
côté sombre de l'Administration nous a rattrapés ! Quentin a reçu de son
gestionnaire, trop tard après midi, les factures des amendes visées à Medellín par la
"DIANE". Or il devait impérativement verser la somme due aujourd'hui,
parce que la démarche était entreprise, il ne pouvait rien retarder sans tout compromettre ! Mais l'après-midi a à peine suffi à clore les démarches, il a souffert
de quelques sueurs froides. Le chauffeur de taxi qui l'avait
conduit dans les bureaux de la "DIANE", a rétorqué :
"Ah ! Chez les voleurs !"
"Ah ! Chez les voleurs !"
Demain, a priori, départ dès le
matin. Les problèmes sont réglés in extremis, Quentin vient de rentrer allégé
de 3 millions de pesos... Il n'est pas découragé et pense s'en sortir mieux en
2018. Il a raison, il suffit d'être à la fois débrouillard et insouciant.
Il faut savoir qu'il vaut mieux
rester dans les règles car les services en question peuvent faire fermer
l'entreprise. Des collègues de Quentin l'ont vécu, même si ce n'est pas définitif.
Il faut encore savoir qu'à
Capurgana, il paye impôts et taxes variés sans bénéficier en contrepartie
d'aucun service de l'Etat : ni route, ni eau courante, peu d'électricité privatisée,
pas de service postal (pas même de notion d'adresse postale), pas de ligne téléphonique
fixe, pas de médecin au dispensaire, pas de tout-à-l’égout évidemment.
Mais vous pouvez y consulter une
dentiste et un vétérinaire qui exercent aussi d'autres professions car leurs
honoraires modestes sont dissuasifs pour la population désargentée. Dissuasifs sauf pour Tinto dont
vous me réclamez des nouvelles : Tinto le bâtard border-collie de Quentin que
j'ai hébergé pendant un an avant qu'il ne parte rejoindre son maître m'a fait
des joies bien sûr. Tinto continue sérieusement son traitement de fond pour la
leishmaniose et s'en sort assez bien, si ce n'est qu'il a un peu vieilli prématurément.
J'ai vérifié qu'il n'a pas rechuté son atteinte oculaire, mais le bout de ses
oreilles et ses coudes sont un peu pelés (un tout petit peu, il a encore un
beau poil), et ses articulations sont certainement moins souples car il est
parfois bien ralenti. Cela ne l'empêche pas de vagabonder seul d'un hameau à l'autre où il est bien connu, et admiré pour sa différence avec les chiens indigènes au poil très ras. Il est une star !
Tinto sur le quai à Sapzurro, dernier comptoir colombien avant le Panama
La police est là, toujours présente autour du golfe d'Uraba
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