Nous écumons la côte caribéenne
avec Quentin.
Non, Marie, "écumer la
côte" n'est pas une prouesse.
La prouesse est plutôt dans les
véhicules. Je vais faire bref et soft.
Dans les cars, sur les routes
enrobées en dentelle, les cahots qui nous projettent en hauteur fracassent plus
ou moins (je dis « plus ou moins » pour rester réaliste sous la
censure) le crâne de Quentin, qui est grand, contre le plafond, et il hurle sur
un fond de musique permanent qui nous abrutit, dans un rythme binaire primaire,
avec un accordéon lancinant et un chanteur qui radote (même pour ceux qui
ignorent les mots, c'est dire).
Ce type de musique caribéenne
caractéristique, chanté par un petit gros moustachu, est pire que les cahots,
et se nomme vallenato ou reggaeton.
Moi, quand je retombe après les
cahots, j'effondre mon siège. Pour ne pas parler de prouesse, j'entends
simplement les coutures craquer, un peu, un peu, un peu plus. De façon à vous
faire comprendre de quoi il s'agit, n'oubliez pas que je suis léger, tirez en
des conclusions, vous-mêmes, je ne veux pas me vanter.
Dans les voitures, pour la
musique, c'est pire, plus violent, mais on y pense moins car elles roulent sur
des pistes inapparentes avec une frénésie pathologique, et nous on brinquebale
sans être attachés. J'ai calculé que si la voiture fait un tonneau, ce sera sur
87 mètres (donc plusieurs tonneaux). Pour Marie exclusivement, les tonneaux ne
sont que deux et sur moins de douze mètres.
En plus, avec la clim à fond, je
divague assommé par un rhume gluant et une sinusite. Donc ces chiffres sont
sujet à caution dans les deux sens. Tant pis pour la précision.
Je ne comprends pas pourquoi
Carthagène des Indes ne faisait pas partie de ma mythologie géographique
établie à l'adolescence, avec Samarcande, Kachgar et Goa.
Ne seraient-ce que son nom, les
Indes occidentales, et la chaîne qui barrait l'entrée de la rade pour retenir
les pirates et les anglais. J'aurais voulu traverser la Boca Grande suspendu à
la chaîne. Ç'aurait été de nuit, bien sûr, un soir de tempête, avec les poches lourdes des émeraudes
raflées aux pilleurs espagnols.
A Cartagena de Indias, j'ai fait
concurrence à Mark Rothko, le peintre américain des faux monochromes. C'est
certainement une prouesse. J'ai photographie 51 fois les murs colorés à 80 cm
de distance, là ou aucun détail ne vient fixer l'attention, en choisissant bien
la juxtaposition de deux pans colorés différents, selon les proportions du
nombre d'or. Le nombre s'applique à la surface ou à la largeur, si bien qu'il
est très fluctuant en réalité, et peu contraignant. Pour ceux qui n'y croient
pas, voici les photos.
L'ennui, c'est l'attroupement quand les passants ne voient rien sur le mur devant moi, sauf le mur bien entendu. Il y a comme une question dans l'air, sur la préciosité soupçonnée de ce mur ou sur ma santé mentale, selon l'imagination des spectateurs. Et maintenant selon celle des lecteurs...
Vous en dîtes quoi ?
Pour ceuxqui sont déçus, je les rassure, nous reviendrons à Carthagène, et je jouerai plus classique. Je les console aussi : vous avez échappé aux trois quarts de ma collection de faux Rothko. Le choix a pourtant été difficile.
Pierre
C'est primaire, mais très joli toutes ces teintes.
RépondreSupprimerEt de penser que ce sont des maisons, mais déambuler dans les rues, doit mettre en joie
C'est sans doute pour ça que la musique hurle tout le long du jour : les gens sont gais naturellement !
Cathy