vendredi 20 octobre 2017

12 - " Quoi ? Quoi ? " Trois fois !


C'est sur l'embarcadère de Necocli, pour "rentrer à la maison" en traversant le golfe, que nous rencontrons un couple de collègues de Quentin qui gèrent deux chambres à Capurgana. Ils ne comprennent pas immédiatement que nous prenons le bateau pour la troisième fois, un aller, un retour et encore un aller.
"Quoi ? Quoi ? Vous reprenez ce bateau ? Mais non, ce n'est pas possible, personne n'a jamais fait ça ! Nous n'en croyons pas nos yeux. Et ce sont tes parents, Quentin ? Des extraterrestres ? Même pour toi, toi tel que tu es, des parents comme ça, c'est inimaginable, alors pour nous... Les nôtres sont venus, mais pas deux fois. Et encore moins dans le même séjour ! Méfie-toi, méfie-toi, ils vont s'incruster. Tu n'es pas venu du Léon pour vivre ça !" 
Mais très gentils, je vous assure, lui français, elle italienne, ils nous ont même invités chez eux.

Les gilets "Fenix", garantie d'immersion

J'ajoute un détail pittoresque sur cette traversée qui fut beaucoup plus calme que la première : Quentin nous a mis en garde contre les gilets de sauvetage. Ce ne sont pas des gilets gonflés d'air, ce sont des gilets emplis de mousse. Cette mousse est hydrophile (à ce que j'ai compris) : elle se remplit d'eau (de mer). Selon la nature des gilets, leur ancienneté, le gabarit du corps, la teneur de l'eau en sel, la violence des vagues, cette fonction est plus ou moins rapide, entre un quart d'heure et vint-deux heures. Une fois la mousse remplie d'eau, le gilet coule "comme une pierre". Je n'invente rien. Comme une pierre, même ou surtout si vous battez des mains et des pieds. C'est prévu ainsi pour abréger l'agonie (selon mon interprétation réaliste, et je suis plutôt d'accord). 
Nous avions de vieux gilets imbibés, dans une eau dessalée par les déluges qui déferlait noyée d'écume, et je n'ai que des os et quelques nerfs : donc la configuration faite pour sombrer plus vite que l'éclair, quel privilège ! Tout me sourit (sauf la clim et la musique). Quentin m'a dit débarrasse-toi de ton gilet avant de sauter à l'eau. "Quoi ? Quoi ? Maintenant ? Avant le naufrage ?" Si ma sœur Marie et ma cousine Marie-Claude y voient encore une fanfaronnade, je garde mon gilet au prochain retour et elles auront des remords.
Ce qui me console pour la musique. c'est qu'après ce purgatoire impitoyable, j'ai une option déjà prise de paradis ! A peine rentré à Roscoff, je cours au Quartz à Brest pour un concert. Non pas un concert de Schubert qui serait l'antidote idéal selon le fondateur de Juya. (Un détail à son sujet : j'ai voulu le piéger et lui ai dit trois mots en persan, il a cru que c'était de l'arabe ! Donc il n'est ni iranien, ni afghan, ni même tadjik, mais il parle arabe ! C'était du persan pollué par l'arabe, en effet).
Pour le concert à Brest, vous ne le croirez pas : c'est Asaf Avidan bien sûr !!! Ça me console de toutes ces cacophonies.

Le Télégramme du 30 octobre 2017 : "Dans le hamac de Quentin"

Bretons du 29 et du 22, vous avez lu l'article du Télégramme en dernière page consacré à Quentin, paru le 30 octobre. Coïncidence, nous avons vécu sous le même toit avec ce journaliste briochin et sa famille. Ensuite il continuait son tour du monde : une année sabbatique pour ouvrir les yeux de Roméo (5 ans) et Irène (2 ans), avec tout le barda, couches et poussette comprises.
Jusqu'à Capurgana ! Et moi qui crois faire des prouesses…

L'article parle des guérilleros des FARC. Depuis qu'ils sont entrés au parlement, l'autre mouvement révolutionnaire, l'ELN, plus radical mais beaucoup plus modeste en nombre d'hommes et en zone d'action, a signé lui aussi un cessez-le-feu. L'ELN sévissait dans la région de Santa Marta sur la côte caraïbe. Avant son installation, Quentin a enrichi son expérience en tant que "volontaire" (vous connaissez) en Amazonie, au Panama, et près de Santa Marta. Lorsque ses patrons en ce dernier lieu partaient en vacances, ils lui laissaient sans hésiter, mais sans penser aux lendemains qui chantent (avec parfois un peu de fanatisme, nécessaire à mon avis) la gestion de leur hostal luxueux et embourgeoisé.


Le jour ou le petit télégraphiste de l'ELN est venu benoîtement avec un grand sourire, selon son habitude et sur son circuit mensuel, réclamer la contribution révolutionnaire, Quentin, outré d'une telle impudence (réelle) et économe des deniers de son patron (ladre), l'a envoyé promener sans espoir d'obole ni de dédommagement pour le déplacement. Heureusement, il en parle négligemment au personnel :
"Quoi ? Quoi ? Tu l'as jeté comme un malpropre ? Dieu ! Grands dieux ! Miséricorde et Purgatoire, tombons a genoux ! Non, non, courons après le petit télégraphiste, et versons, versons avec nos larmes et nos supplications". Bref, un grand rodéo et un tintouin pas possible pour une somme presque dérisoire (je crois).

 
Ici, à Capurgana, depuis le départ des FARC, ce sont les "paracos" qui règnent, mais tout porte à croire qu'ils sont sur le déclin, même si, c'est vrai, ils ont pu décréter une grève générale qui a coupé la rive occidentale du golfe du reste du monde pendant 5 jours à la barbe et au nez de Bogota. Ainsi, venir à Capurgana, c'est prendre le risque de prolonger ses vacances à Kachikine, les paracos ont du bon.
Paraco signifie à la fois paramilitaire et narco, c'est un mélange peu sympathique et même délétère, représenté sur place par des gamins abusés qui ne voient pas un peso des trafics juteux. En tous cas, personne ne doit s'aventurer sottement dans la jungle à plus d'une certaine distance, ce n'est pas conseillé, la frontière est un pré carré. Tout le monde connaît les gamins qui ont promis un coup de main pour restaurer le sentier de l’Aguacate, déglingué par les mules.
  

Voilà, tout va très bien, et nous nous régalons de jus de fruits mixés par Christian, l'assistant charmant de Quentin, qui nous a à la bonne et s'ingénie à nous surprendre. La Colombie est le paradis des fruits où sept d'entre eux sont endémiques, et ont une saveur à nulle autre pareille. Nous adorons le jus de Lulo, celui de Maracuya ou de Guanabana, mais, le croirez-vous, celui d'avoine est un délice.

Pierre


1 commentaire:

  1. Quentin, tu fais vraiment peur,sur la photo. Je comprends que le petit télégraphiste ait pris la poudre d'escampette !...
    Cathy

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