"Quoi ? Quoi ? Vous reprenez ce bateau ? Mais non, ce n'est pas possible, personne n'a jamais fait ça ! Nous n'en croyons pas nos yeux. Et ce sont tes parents, Quentin ? Des extraterrestres ? Même pour toi, toi tel que tu es, des parents comme ça, c'est inimaginable, alors pour nous... Les nôtres sont venus, mais pas deux fois. Et encore moins dans le même séjour ! Méfie-toi, méfie-toi, ils vont s'incruster. Tu n'es pas venu du Léon pour vivre ça !"
Mais très gentils, je vous
assure, lui français, elle italienne, ils nous ont même invités chez eux.
J'ajoute un détail pittoresque
sur cette traversée qui fut beaucoup plus calme que la première : Quentin nous
a mis en garde contre les gilets de sauvetage. Ce ne sont pas des gilets
gonflés d'air, ce sont des gilets emplis de mousse. Cette mousse est hydrophile
(à ce que j'ai compris) : elle se remplit d'eau (de mer). Selon la nature
des gilets, leur ancienneté, le gabarit du corps, la teneur de l'eau en sel, la
violence des vagues, cette fonction est plus ou moins rapide, entre un quart
d'heure et vint-deux heures. Une fois la mousse remplie d'eau, le gilet
coule "comme une pierre". Je n'invente rien. Comme une pierre, même
ou surtout si vous battez des mains et des pieds. C'est prévu ainsi pour
abréger l'agonie (selon mon interprétation réaliste, et je suis plutôt
d'accord).
Nous avions de vieux gilets
imbibés, dans une eau dessalée par les déluges qui déferlait noyée d'écume,
et je n'ai que des os et quelques nerfs : donc la configuration faite pour sombrer plus vite que l'éclair, quel privilège ! Tout me sourit (sauf la clim
et la musique). Quentin m'a dit débarrasse-toi de ton gilet avant de
sauter à l'eau. "Quoi ? Quoi ? Maintenant ? Avant le naufrage ?" Si ma sœur Marie et ma
cousine Marie-Claude y voient encore une fanfaronnade, je garde mon gilet
au prochain retour et elles auront des remords.
Ce qui me console pour la
musique. c'est qu'après ce purgatoire impitoyable, j'ai une option déjà prise
de paradis ! A peine rentré à Roscoff, je cours au Quartz à Brest pour un
concert. Non pas un concert de Schubert qui serait l'antidote idéal selon le
fondateur de Juya. (Un détail à son sujet : j'ai voulu le piéger et lui ai dit
trois mots en persan, il a cru que c'était de l'arabe ! Donc il n'est
ni iranien, ni afghan, ni même tadjik, mais il parle arabe ! C'était du
persan pollué par l'arabe, en effet).
Pour le concert à Brest, vous ne
le croirez pas : c'est Asaf Avidan bien sûr !!! Ça me console de toutes ces
cacophonies.
Le Télégramme du 30 octobre 2017 : "Dans le hamac de Quentin"
Bretons du 29 et du 22, vous avez
lu l'article du Télégramme en dernière page consacré à Quentin, paru le 30
octobre. Coïncidence, nous avons vécu sous le même toit avec ce
journaliste briochin et sa famille. Ensuite il continuait son tour du monde : une année sabbatique pour ouvrir les yeux de Roméo (5 ans) et
Irène (2 ans), avec tout le barda, couches et poussette comprises.
Jusqu'à Capurgana ! Et moi qui crois faire des prouesses…
Jusqu'à Capurgana ! Et moi qui crois faire des prouesses…
L'article parle des guérilleros
des FARC. Depuis qu'ils sont entrés au parlement, l'autre mouvement
révolutionnaire, l'ELN, plus radical mais beaucoup plus modeste en nombre
d'hommes et en zone d'action, a signé lui aussi un cessez-le-feu. L'ELN sévissait
dans la région de Santa Marta sur la côte caraïbe. Avant son installation,
Quentin a enrichi son expérience en tant que "volontaire" (vous
connaissez) en Amazonie, au Panama, et près de Santa Marta. Lorsque ses
patrons en ce dernier lieu partaient en vacances, ils lui laissaient sans
hésiter, mais sans penser aux lendemains qui chantent (avec parfois un peu
de fanatisme, nécessaire à mon avis) la gestion de leur hostal luxueux et
embourgeoisé.
Le jour ou le petit télégraphiste
de l'ELN est venu benoîtement avec un grand sourire, selon son habitude et sur
son circuit mensuel, réclamer la contribution révolutionnaire, Quentin,
outré d'une telle impudence (réelle) et économe des deniers de son patron
(ladre), l'a envoyé promener sans espoir d'obole ni de dédommagement pour le
déplacement. Heureusement, il en parle négligemment au personnel :
"Quoi ? Quoi ? Tu l'as jeté comme un malpropre ? Dieu ! Grands dieux ! Miséricorde et Purgatoire, tombons a genoux ! Non, non, courons après le petit télégraphiste, et versons, versons avec nos larmes et nos supplications". Bref, un grand rodéo et un tintouin pas possible pour une somme presque dérisoire (je crois).
"Quoi ? Quoi ? Tu l'as jeté comme un malpropre ? Dieu ! Grands dieux ! Miséricorde et Purgatoire, tombons a genoux ! Non, non, courons après le petit télégraphiste, et versons, versons avec nos larmes et nos supplications". Bref, un grand rodéo et un tintouin pas possible pour une somme presque dérisoire (je crois).
Ici, à Capurgana, depuis le
départ des FARC, ce sont les "paracos" qui règnent, mais tout porte à
croire qu'ils sont sur le déclin, même si, c'est vrai, ils ont pu décréter
une grève générale qui a coupé la rive occidentale du golfe du reste du monde
pendant 5 jours à la barbe et au nez de Bogota. Ainsi, venir à
Capurgana, c'est prendre le risque de prolonger ses vacances à Kachikine, les paracos ont du bon.
Paraco signifie à la fois paramilitaire
et narco, c'est un mélange peu sympathique et même délétère, représenté sur
place par des gamins abusés qui ne voient pas un peso des trafics juteux. En
tous cas, personne ne doit s'aventurer sottement dans la jungle à plus d'une
certaine distance, ce n'est pas conseillé, la frontière est un pré carré.
Tout le monde connaît les gamins qui ont promis un coup de main pour restaurer
le sentier de l’Aguacate, déglingué par les mules.
Voilà, tout va très bien, et nous nous régalons de jus de fruits mixés par Christian, l'assistant charmant de Quentin, qui nous a à la bonne et s'ingénie à nous surprendre. La Colombie est le paradis des fruits où sept d'entre eux sont endémiques, et ont une saveur à nulle autre pareille. Nous adorons le jus de Lulo, celui de Maracuya ou de Guanabana, mais, le croirez-vous, celui d'avoine est un délice.
Pierre
Quentin, tu fais vraiment peur,sur la photo. Je comprends que le petit télégraphiste ait pris la poudre d'escampette !...
RépondreSupprimerCathy