mercredi 25 mars 2020

21 - En vase clos

Avant même notre arrivée chez Quentin, la frontière avec le Panama s'était fermée hermétiquement.
Or les plages du Panama, qu'on les atteigne par mer avec la lancha ou par le sentier littoral, sont le but des excursions les plus prometteuses. En principe, par mer il n'y a aucune formalité (sauf si l'on transporte des migrants comme l'a fait l'employé écervelé de Quentin qui croupit en prison après confiscation du moteur et de la lancha) et par le sentier il suffit de montrer parfois son passeport dans un semblant de cahute frontalière.
Rappelez-vous que cette frontière constitue le "bouchon du Darién" qui interrompt la panaméricaine, il n'y a aucune route pour relier ces deux pays qui n'ont pas de relations cordiales (depuis la sécession du Panama fomentée par Washington en 1821 pour capter les royalties du canal).

Le Panama inaccessible a été le premier signe tangible des difficultés qui nous attendaient...
Nous nous sommes rabattus sur les excursions côtières vers le parc du Cielo, vers Capurgana et vers le hameau frontalier de Sapzurro.


Non, nous n'entrerons pas plus avant dans la jungle où règnent les paracos.





Les paracos (paramilitaires narco-trafiquants) ont de fâcheuses manières. Ils déposent en douce sur les tables des aubergistes leurs cartes de visites avec les consignes de black-out total quand ils sont contrariés. En quelque sorte, et toutes proportions gardées, s'il s'agit de confiner, les paracos concurrencent le covid-19. Comme lui, ils surgissent et frappent. Comme avec lui, l'économie est un otage. 
Venir à Capurgana, est-ce passer de l'un aux autres ?



Revenons aux excursions autorisées.
Pour la première, avant d'être fiévreuse, Alice avait escaladé, à 50 km de Medellín, les 705 hautes marches de la piedra del Peñol qui domine le rio Magdalena où s'ébattent encore en nombre les hippopotames de Pablo Escobar (lisez les premières pages du roman inspiré, "Le bruit des choses qui tombent" de Juan Gabriel Vásquez. Lisez tout le roman !), puis elle avait rejoint Guatapé en tuk-tuk.






Sur le sentier de Katchikiné à Capurgana

Sur la seconde excursion, en approchant de Capurgana par le sentier littoral dénivelé, vous avez rencontré les "indigènes". Ce terme générique ne signifie pas qu'ils ont la peau cuivrée, les cheveux noirs et raides, ni la souplesse du jaguar. Il signifie qu'ils naissent, vivent et meurent là, sans plus.
Aux indigènes vous direz avec aplomb, vous qui ne parlez pas un mot de colombien :
" Quentin de Kachikine es mi hijo ", 
puis après apprentissage laborieux  " Yo soy el padre de Quentin ".
Vous n'oublierez pas de prononcer ce prénom avec l'accent, vous direz " Kwennetine" et ça ira parce qu'il y en a un qui se nomme Tarantino et c'est bien pratique pour notre Quentin à nous, qui se différencie du cinéaste par cet anoblissement : il est " de Kachikine".


Ah ! Kwennetine !

Les populations locales ont ainsi des repères inamovibles : Quentin, pour tout maigre et grand qu'il soit, avec ses yeux noirs qui phosphorent, sa façon de plisser le nez en riant et ses multiples écorchures passe en effet complètement incognito s'il oublie sa casquette à visière. Là-bas, c'est sa casquette qui fait son identité. Je me demande ce qui fait la mienne...





Capurgana


Troisième excursion : avec Domitille, Marie-Hélène et Yvon, j'ai rallié à pied, en deux heures, le hameau frontalier de Sapzurro pendant qu'Alice, sa mère et sa grand-mère s'y rendaient en lancha. Sapzurro est deux fois plus loin que Capurgana. Dans la lancha Alice affronte la mer sans sourciller, cela ne vous étonne plus.

Sapzurro









A Sapzurro, hors du temps, vous irez parcourir les plages du Nouveau Monde en guettant les caravelles des conquistadors. Vous serez indiens, vous connaîtrez l'avenir, vous conjurerez le sort, sans pitié pour les envahisseurs. Mais vous saurez que tout s'écroule et tombent les choses.

 




















2 commentaires:

  1. Voilà qui m'a bien étonnée : voir la mer des deux côtés, d'une bande de terre etroite et boisée, très boisée, quand vous surplombez Sapzurro. Je me suis demandée si c'était déjà le Pacifique à gauche ? Mais en fait, non, je l'ai vu après sur la carte.

    RépondreSupprimer
  2. L'arbre va être à peindre....ou n'est-ce déjà fait...

    RépondreSupprimer