mardi 31 octobre 2017

16 : Au revoir


Entre le Panama et le Vénézuéla, la côte caraïbe, qui s'étend sur 785 km à vol d'avion, nous a ouvert les portes du pays. Nous nous sommes contentés d'écumer la côte, alors que la Colombie, grande comme deux fois la France, est un pays très divers, dont nous n'avons parcouru ni les Andes, ni les Llanos, ni le versant amazonien. 
Notre petit journal n'a pas non plus évoqué la religion, l'Histoire, l'économie parallèle, les uniformes des écoliers, ni tant d'autres sujets qui vous auraient passionnés.





Mais vous nous pardonnerez car vous avez compris que nous faisions ce voyage pour revoir Quentin, exilé depuis bientôt trois ans dans ce pays. Ces retrouvailles ont été l'apogée de notre séjour, et ont forcément éclipsé les découvertes touristiques. Avouons que nous avons été surpris et admiratifs devant l'éclosion de son projet dont la parfaite réalisation dépasse ce que nous imaginions.


On me parle de chiens et de chats en comparant mes déambulations sur des chemins détournés avec l'immigration de Quentin en Colombie : c'est pourtant sans commune mesure et injuste pour lui.
Quand je pars, c'est toujours en regardant derrière moi : non seulement je sais que je reviendrai, mais j'aspire à revenir. Il est question d'une étape, une petite étape.


Quand Quentin est parti, il regardait devant lui, c'était un exil, certes créatif mais incertain, plein de promesses aléatoires. C'était une rupture brutale avec sa vie précédente, sa sécurité, son avenir tracé, son métier, sa langue, son climat, ses habitudes, sa proximité avec famille et amis. 
L'immigration n'est pas toujours une fatalité. Pour Quentin ce choix est bien sûr délibéré, mais il n'en reste pas moins qu'il exige à la fois l'imagination, la volonté, la persévérance et le courage dont il a bel et bien fait preuve.
Il n'est plus question d'une étape, il est question d'une vie. 

Voilà, ce journal se termine ici.
Cette année, je n'écris pas :  "Et l'an prochain, si Dieu le veut, un pays voisin..."
Y aura-t-il encore un autre pays, rien n'est moins sûr. Si oui, ce sera à nouveau vers l'est.

Comme les années passées :
2009 - L'Iran : http://www.lestroncsclairs.blogspot.com/ 
2010 - Le Tadjikistan : http://pamirapied.blogspot.com/
2012 - Le Kirghizistan : http://kirghizieapied.blogspot.com/
2014 - L'Arménie : http://armenieapied.blogspot.com/
2016 - L'Albanie : http://albanieapied.blogspot.com/
2018 - Le Tibet : https://royaumedukham.blogspot.com/

Pour leurs illustrations :
- La peinture : http://pierre.hurteaux.free.fr/

lundi 30 octobre 2017

15 : Hier est un autre jour

Medellín aujourd'hui, depuis le "metrocable" qui a désenclavé les quartiers redoutés

Hier, à Medellín, Pablo faisait la Loi. S'il décrétait le couvre-feu, par pure souci d’autorité, sans bénéfice pour ses petites ni grandes affaires, Bogotá restait coite, les rues sombres s’engouffraient dans le silence, les soirées se vivaient claquemurées.

Aujourd'hui les paisas (les habitants de Medellin) vivent dehors,
parmi les œuvres de Fernando Botero

Hier, Pablo faisait la Loi et offrait ses services financiers en proposant au gouvernement de racheter la dette de la Colombie. Oui, Pablo pouvait financer l’État, son coffre-fort recelait plus d'avoirs que le budget de la Nation.

Aujourd'hui, la ville respire la liberté

Hier, Pablo faisait la Loi en attisant la guerre civile. Les habitants de Medellin en étaient les victimes ou les tortionnaires. Non, en fait, les habitants étaient les victimes ET les tortionnaires. Le système était ainsi fait, chacun était impliqué, par ses pensées, ses actions et ses omissions, dans les deux camps.

Les taxis de Medellín sont réellement un modèle d'honnêteté et de sécurité.
La plaque minéralogique figure sur chaque côté et sur le toit du véhicule.
Le compteur est parfaitement visible des passagers contrairement à Carthagène.

Les guides touristiques s’éditent toujours sous l'influence de Pablo : ne prenez jamais de taxi en dehors de l’hôtel, ne sortez jamais de nuit, évitez les quartiers périphériques, ne buvez pas l'eau du robinet, ne vous faites pas piquer par les moustiques, ne traversez pas en dehors des clous, soyez sans intentions, ne pensez pas, n'agissez pas, n'omettez rien. Nous avons suivi ces préceptes au contre-pied avec la bénédiction, ou plutôt les encouragements de Quentin.
Nous sommes arrivés deux fois de nuit.
Nous avons hélé les taxis dans la rue, pris le métro 4 fois chacun (mais ensemble, rassurez-vous, vous qui voulez du bien à Sylvie).

 
Notre hôtel est de l'autre côté du fleuve (mais pas sous les arbres).
Nous raffolons des jus de fruits étendus de glaçons, c'est-à-dire d'eau.
Du jardin botanique Sylvie est revenue constellée de piqûres.

 Le jardin botanique est notre coup de cœur dans cette ville frénétique

Les rues sont un grouillement intarissable de créatures humaines en tous genres. C'est vite infernal pour nous, pauvres petits roscovites qui fuyons le port au mois d'aout. Donc, nous sautons d'un trottoir à l'autre au milieu d'un flot de voitures décérébrées.
Nous agissons sans préméditation, mais sans scrupules, avec souvent un regard vague et l'air bête à manger du foin (avec beaucoup de naturel quand on nous interroge, vous l'avez deviné).
Nous ne méditons sur rien, nous gobons tout, et ça vaut mieux. Ainsi nos intentions ne sont claires ni pour eux, ni pour nous. Eux ? Les Paisas, les gens du cru (prononcez "païssa").


Nous omettons tout : de comprendre les mots, de comprendre les prix et de comprendre les itinéraires. Je crois que nos cervelles sont étanches et inamovibles, je crois que c'est une ivresse, Sylvie dit "Parle pour toi !"


Un exemple : nous avons acheté les quatre cartes postales du pays (il faut vraiment tomber dessus avec une chance de pendu), et acheté 12 timbres grand format pour l'affranchissement dans un magasin de souvenirs où ils avaient échoué depuis Mathusalem. Tout cela a l'intention de ma mère qui attend notre retour, en s’inquiétant pour elle-même, pas pour nous.
Nous nous croyions vernis. C’était sans savoir que "La Poste" n'existe pas ou si peu. La poste s'appelle ici "472". Ma sœur et ma cousine ne le croiront pas, mais j'ai reçu, pour me consoler, le témoignage d'une de mes lectrices très avertie (qui a convolé avec un latino, hou ! la ! la !) et qui est disposée à confirmer que je suis resté en deçà de la vérité depuis que je vous écris et édulcore mes propos à cause de ma famille.
Donc La Poste, c'est "472". Malins comme vous êtes, vous comprenez d’emblée qu'en espagnol 472 est beaucoup plus complexe à articuler que quelque chose comme "correo postal" (?). Il faut encore savoir que le 472 est inutilisé par 99,99% des colombiens qui en ignorent l'adresse ou même l'existence, que c'est donc un tout petit bureau situé parfois à l’étage ou à la cave.
A Carthagène, après être passés trois fois devant et avoir été transférés d'une rue à l'autre par sept interlocuteurs différents, nous avions déniché le 472 où l'unique employée avait brandi un tampon et assené violemment un cachet sur les timbres avec ostentation devant nos mines réjouies.
A Medellín, ce fut un échec après 90 minutes d'allers et venues en tous sens et des dizaines de grimaces interrogatives. Même si nous laissions lire ces cartes pour prouver leur importance, le dépit l'emportait sur la suspicion et nous étions envoyés au petit bonheur. Nous avons jeté l’éponge quand le dernier interlocuteur nous a menés dans un bureau ou Western Union côtoyait un pseudo-472, et qu'il nous a été demandé 175.000 pesos en plus des timbres pour envoyer une seule carte à Paris, pas plus loin (55 euros environ). Paris, ça vous va ?
Si demain, l’aéroport n'est pas plus efficace, nous apporterons nous-mêmes les cartes à Maman le 11 novembre.
A la relecture, je me demande si c'est vraiment l'exemple qui convient à ma démonstration de survie, mais tant pis, vous n'y avez vu que du feu.
Demain, nous partons à Panama city !

samedi 28 octobre 2017

14 : Une journée à Medellin

Couchés comme les poules hier après une journée bien remplie, nous avions enchaîné :

- deux heures de bateau, par un temps de curé comme disait mon père quand la mer était calme. Soit une agréable traversée du golfe d'Uraba en longeant la côte de très près... ainsi que les cailloux, pour arriver au port de Turbo, qui semble en pleine déconfiture, si on se base sur le nombre de bateaux, véritables épaves à flot, qui encombraient le fond du port. Deux pélicans mélancoliques nageaient au milieu d'eux. Avant d'entrer dans le port, il nous a fallu montrer patte blanche et s'arrêter au ponton de la gendarmerie maritime, de la marine ? Non loin, une sorte de terminal pétrolier ou autre semblait par contre en excellent état.
- puis 9h 1/2 de car à travers les montagnes. La route sinue entre les vallées et passe où elle peut. Heureusement le car était très confortable, sièges moelleux en tissu, ce qui donne un côté antidérapant. A l'aller ce n'était pas le cas, les sièges étaient en skaï et on était balloté de droite à gauche dans chaque virage ; j'avais dû mettre mon manteau en boule pour me caler et éviter des bleus. Mieux vaut avoir le cœur bien accroché, la route tourne et vire sans cesse, il y a toujours quelqu’un de malade en cours de route.
- pour atterrir dans notre chambre d'hôtel à 21 h, un peu flapis (terme familial Hurteaux). Nous ne sommes même pas ressortis dîner. Le seul arrêt conséquent du car, destiné à se restaurer, ayant eut lieu vers 17 h, nous en avions profité conséquemment.

Donc réveillés de bonne heure ce matin, nous sommes partis arpenter Medellín, forts des conseils rassurants de Quentin qui ne comprenait pas mes craintes. Lui n'avait pas lu le « Lonely planet », qui datant de plusieurs années, ne forçait pas à la décontraction. Exemples :   Surtout ne prenez jamais un taxi au vol dans la rue, on peut vous extorquer votre code de carte bancaire. Surtout ayez toujours sur vous une rouleau de petites coupures en cas d’agression, et ne résistez pas, un coup de couteau est vite arrivé... Mais Medellín a beaucoup changé, en bien, c'est vrai.


Première étape : prendre le métro. Facile, il suffit d'acheter une carte au guichet en précisant (avec nos doigts !) le nombre de voyages souhaités. Le métro est aérien, c'est un moyen plaisant de circuler en ville. Il relie toutes les banlieues sises sur les collines au centre ville, elles ont été ainsi désenclavées. Le metrocable en fait partie, c'est un téléphérique qui nous a menés jusqu'à une bonne hauteur mais pas jusqu'au sommet, au parc Arvi, car le dernier tronçon était en maintenance aujourd’hui. C'est assez impressionnant de dominer la ville qui s'étend au fond d'une vallée et sur les versants de manière tentaculaire.

Deuxième étape : la place des statues, où Botero s'expose en long, en large, c'est le cas...
Le chat, le chien et le cheval me plaisent bien.
Le quartier alentour est très populaire et commerçant, il grouille de passants, mais ce n'est pas là que je ferai des folies. Beaucoup de vêtements sont en polyester et importés de Chine. La mode colombienne est spéciale : il faut avoir le ventre à l'air de préférence, ce qui sous-entend des bustiers plus ou moins kitsch et plus ou moins bien portés. Quant à celle de Medellín, c'est la catastrophe. Ses habitants se reconnaissent de loin, car qui d'autre en bord de mer arborerait une combinaison en résille noire sur un maillot de bain ?
Il est facile de croiser de ravissantes colombiennes, fières de leur ligne mannequin et bien maquillées ; d'autres sont moins filiformes et de loin. Leur régime alimentaire à base de beignets ou de fritures dès le petit-déjeuner, avec grignotages perpétuels toute la journée (chips) en est certainement pour quelque chose. Ici, on se boudine sans complexes. J'ai de la marge, c'est toujours réconfortant !


Au chapitre suivant, Pierre va vous narrer nos mésaventures avec les cartes postales : c'est inimaginable. Abordés dans la rue, il y a ceux qui ne comprennent absolument pas ce que nous demandons : la poste ou 472, soit oralement, soit par écrit au cas ou notre prononciation laisserait à désirer, même en leur mettant les cartes écrites sous le nez. Ceux qui prennent un air totalement hébété devant une telle recherche, puis ceux très surpris mais charmants qui souhaitent nous venir à tout prix en aide et qui nous ont baladés de rues en rues pour nous adresser à des officines qui n'ont rien à voir avec une poste : western union, expéditions internationales... Portables à l'appui. Même la police s'est révélée incapable de nous venir en aide. Je comprends mieux pourquoi Quentin n'en a pas abusé, malgré mes demandes répétées. C'est déjà de l'héroïsme d'en avoir envoyé une à sa grand-mère.

Medellín s'est révélée assez décevante sur le plan architectural. Rien de notable. Les habitants sont agréables, voire prévenants. La présence policière est très importante en centre ville, c'est sécurisant ma foi. Si la température a beaucoup chuté par rapport à la côte car la ville est en altitude, elle reste plaisante, 22 à 25°, on se promène en robe d'été. En France, le décalage horaire et thermique va être redoutable. Nous avons perdu l'habitude de mettre un pull pour sortir.


Demain, départ pour Brest, via Panama et Paris. Quand reverrai-je de mon petit Liré fumer la cheminée..., nous voila désormais dans cette optique là, et aussi  pleins de bonnes résolutions pour apprendre l'espagnol, histoire de mieux se faire comprendre et de pouvoir échanger lors de notre prochain voyage en Colombie.
Sylvie

mardi 24 octobre 2017

13 - Tous mes végétaux sont dans la jungle

Tout d'abord, sachez que j'ai pu stimuler mon anti-américanisme primaire avec satisfaction.
C'est sot de ma part de parler d'antiaméricanisme quand je n'ai pas d'hostilité envers la Colombie, ni envers la plupart des pays du continent : les colombiens sont bien sûr tout aussi américains que les habitants des USA, qui n'ont pas de nom puisque le néologisme "états-uniens" a fait long feu. 
Parlons donc d'américains sans exclure les 3/4 des habitants du continent.
Je précise donc que je souffre de répulsion envers les politiques et les diktats de Washington, ça ne va pas plus loin. Et j'apprends qu'en 1903 ce sont bien les USA qui ont fomenté et soutenu  un mouvement d'opposition dans la province colombienne du Panama, pour créer de toutes pièces un état fantoche à leur botte, et creuser le canal sans rendre de comptes à Bogotá (ni même à Panama city) en engrangeant unilatéralement des bénéfices monstrueux.
Il n'y aurait jamais aucune autre motivation aux ambitions colonisatrices.

 Les descendants des indiens Tayronas (Kogis et Arhuacos)
sont vêtus de blanc et portent, hommes et femmes, les cheveux longs.

Pour m'en convaincre et oublier le conditionnel, il m'a suffi de lire la littérature sud-américaine. Après Gabriel Garcia Marquez, je suis passé à Mario Vargas Llosa.
Le premier livre choisi était très drôle, très léger, et très attractif : "Le héros discret".
Le second est dramatique, anxiogène et désespérant : "Le rêve du Celte".
Il s'agit d'une biographie de Roger Casement, de moi totalement inconnu avant cette lecture. Roger Casement, à la fin du IXXe siècle et au début du XXe a enquêté pour le compte du Royaume Uni sur les exactions monstrueuses de la colonisation belge au Congo, puis sur les traitements sadiques des caoutchoutiers envers les indiens péruviens. Par la suite son nationalisme irlandais l'a incité à s'allier aux allemands lors de la première guerre mondiale et à être alors considéré comme traître, puisque l'Irlande était sous tutelle britannique.


A l'époque, les rapports détaillés de ses enquêtes effectuées sur place ont bouleversé l'opinion publique en Europe et en Amérique, et permis une prise de conscience internationale sur les conditions de survie des populations indigènes. La lecture de cette biographie, pourtant moins précises que les rapports initiaux sur les tortures systématiques et multipliées, reste éprouvante et mortifère.
Qu'un écrivain puisse passer ainsi d'un sujet romanesque distrayant à un sujet historique dramatique avec autant de séduction signe certainement un talent exceptionnel. 


Mon sort de "volontaire" chez Quentin est paradisiaque à l'évidence. Moi qui voulais vous apitoyer, comment le pourrais-je ? D'autant que j'ai un grand plaisir à jardiner ici comme à Roscoff. Après avoir creusé à une profondeur dérisoire les tranchées nécessaires aux évacuations de la nouvelle "cabane", tranchées qui ne sont que des saignées dans une terre meuble sans gros cailloux, mais quand même exigent une position peu confortable sous le plancher, et un dos insensible aux heurts dans les poutres, sans parler du ruissellement de la peau sur laquelle colle la poussière soulevée dès le premier coup de bêche, qui soit dit en passant est peu performante, tout ça avec un nez qui coule pour agglutiner la terre dans la moustache (quelle ineptie, les poils dans cette ambiance !), une toux de cachectique, des poumons qui font semblant de partir en miettes, et des nuits j'en parle pas, après avoir creusé, disais-je, il fallait camoufler les tuyaux qui quittaient la cabane à travers le jardin.


C'est là que cela devient intéressant, et je pense à tous les amateurs de jardinage, une race tout à fait à part, totalement étrangère au reste de l´humanité : il y a bien deux sortes d'êtres humains, les indifférents à la terre (je ne les exclue pas, ils peuvent être charmants malgré ce handicap), et les autres, l'élite choisie à qui je m'adresse ici. Imaginez que pour peupler votre jardin d'essences variées, colorées, prospères, pleines de bonne volonté pour croître sans anicroches, menacées ni par la sécheresse (en cette saison), ni par le gel (jamais), ni par la pauvreté d'une terre riche d'humus amassé, il suffit de faire quelques pas à droite, à gauche ou derrière, dans la jungle épaisse, énigmatique et sonore, mais exubérante et prolifique, pour récolter tout ce dont vous avez envie de planter avec la foi du charbonnier ! La complaisance de la Nature fait alors des prouesses : la moindre branche brisée se garnit de tendres feuilles prometteuses en quinze jours à peine.

 Le ravissant arbre panaché qui m'a fourni les boutures

Croiriez-vous que ces feuilles à nervures jaunes se sont développées en un mois 
sur une simple branche prélevée sur l'arbre panaché, déplumée puis plantée ?

Une grosse pierre en arceau bloque le tuyau d'évacuation.
Cette plante acérée, récoltée dans la jungle, dissuade de monter sur la pierre.

Craignez seulement les fourmis carnivores lilliputiennes qui rendent fou, et leurs grandes sœurs qui ratiboisent un arbre dans une journée. Le paradis et l'enfer sont intriqués depuis la nuit des temps bibliques. Le piment de la vie est bien là, n'est-ce pas, Felis Navidad ?

Les fourmis au travail découpent et transportent toutes les feuilles d'un arbre.

Je vais renoncer aux pépinières et écumer désormais le voisinage roscovite de ma maison pour peupler mon jardin. Par manque de confiance, j'ai quand même préparé les boutures que je vais importer, peu certain de les trouver chez toi, Marie-Hélène K. 

Pierre



Version de Sylvie :

A Capurgana, chez Quentin, vivent les descendantes d'Attila !
Colonne par une, deux ou trois, elles tracent au propre comme au figuré. Elles sont capables de vous déplumer un arbre de deux mètres totalement, plus une seule feuille. Elles portent leurs trophées sur le dos, tenus par leurs mandibules. C'est ainsi qu'elles se promènent avec un bout de feuille, cinq fois gros comme elles. De loin, on voit des petits bouts verts qui déambulent en file indienne, sur les troncs ou sur le sol, en lignes mouvantes. Quentin a vu nombre de ses plantations, potagères ou non, totalement ratiboisées. Lorsqu'elles jettent leur dévolu sur quelque végétal, il est cuit. Vous aurez reconnu les fourmis.

vendredi 20 octobre 2017

12 - " Quoi ? Quoi ? " Trois fois !


C'est sur l'embarcadère de Necocli, pour "rentrer à la maison" en traversant le golfe, que nous rencontrons un couple de collègues de Quentin qui gèrent deux chambres à Capurgana. Ils ne comprennent pas immédiatement que nous prenons le bateau pour la troisième fois, un aller, un retour et encore un aller.
"Quoi ? Quoi ? Vous reprenez ce bateau ? Mais non, ce n'est pas possible, personne n'a jamais fait ça ! Nous n'en croyons pas nos yeux. Et ce sont tes parents, Quentin ? Des extraterrestres ? Même pour toi, toi tel que tu es, des parents comme ça, c'est inimaginable, alors pour nous... Les nôtres sont venus, mais pas deux fois. Et encore moins dans le même séjour ! Méfie-toi, méfie-toi, ils vont s'incruster. Tu n'es pas venu du Léon pour vivre ça !" 
Mais très gentils, je vous assure, lui français, elle italienne, ils nous ont même invités chez eux.

Les gilets "Fenix", garantie d'immersion

J'ajoute un détail pittoresque sur cette traversée qui fut beaucoup plus calme que la première : Quentin nous a mis en garde contre les gilets de sauvetage. Ce ne sont pas des gilets gonflés d'air, ce sont des gilets emplis de mousse. Cette mousse est hydrophile (à ce que j'ai compris) : elle se remplit d'eau (de mer). Selon la nature des gilets, leur ancienneté, le gabarit du corps, la teneur de l'eau en sel, la violence des vagues, cette fonction est plus ou moins rapide, entre un quart d'heure et vint-deux heures. Une fois la mousse remplie d'eau, le gilet coule "comme une pierre". Je n'invente rien. Comme une pierre, même ou surtout si vous battez des mains et des pieds. C'est prévu ainsi pour abréger l'agonie (selon mon interprétation réaliste, et je suis plutôt d'accord). 
Nous avions de vieux gilets imbibés, dans une eau dessalée par les déluges qui déferlait noyée d'écume, et je n'ai que des os et quelques nerfs : donc la configuration faite pour sombrer plus vite que l'éclair, quel privilège ! Tout me sourit (sauf la clim et la musique). Quentin m'a dit débarrasse-toi de ton gilet avant de sauter à l'eau. "Quoi ? Quoi ? Maintenant ? Avant le naufrage ?" Si ma sœur Marie et ma cousine Marie-Claude y voient encore une fanfaronnade, je garde mon gilet au prochain retour et elles auront des remords.
Ce qui me console pour la musique. c'est qu'après ce purgatoire impitoyable, j'ai une option déjà prise de paradis ! A peine rentré à Roscoff, je cours au Quartz à Brest pour un concert. Non pas un concert de Schubert qui serait l'antidote idéal selon le fondateur de Juya. (Un détail à son sujet : j'ai voulu le piéger et lui ai dit trois mots en persan, il a cru que c'était de l'arabe ! Donc il n'est ni iranien, ni afghan, ni même tadjik, mais il parle arabe ! C'était du persan pollué par l'arabe, en effet).
Pour le concert à Brest, vous ne le croirez pas : c'est Asaf Avidan bien sûr !!! Ça me console de toutes ces cacophonies.

Le Télégramme du 30 octobre 2017 : "Dans le hamac de Quentin"

Bretons du 29 et du 22, vous avez lu l'article du Télégramme en dernière page consacré à Quentin, paru le 30 octobre. Coïncidence, nous avons vécu sous le même toit avec ce journaliste briochin et sa famille. Ensuite il continuait son tour du monde : une année sabbatique pour ouvrir les yeux de Roméo (5 ans) et Irène (2 ans), avec tout le barda, couches et poussette comprises.
Jusqu'à Capurgana ! Et moi qui crois faire des prouesses…

L'article parle des guérilleros des FARC. Depuis qu'ils sont entrés au parlement, l'autre mouvement révolutionnaire, l'ELN, plus radical mais beaucoup plus modeste en nombre d'hommes et en zone d'action, a signé lui aussi un cessez-le-feu. L'ELN sévissait dans la région de Santa Marta sur la côte caraïbe. Avant son installation, Quentin a enrichi son expérience en tant que "volontaire" (vous connaissez) en Amazonie, au Panama, et près de Santa Marta. Lorsque ses patrons en ce dernier lieu partaient en vacances, ils lui laissaient sans hésiter, mais sans penser aux lendemains qui chantent (avec parfois un peu de fanatisme, nécessaire à mon avis) la gestion de leur hostal luxueux et embourgeoisé.


Le jour ou le petit télégraphiste de l'ELN est venu benoîtement avec un grand sourire, selon son habitude et sur son circuit mensuel, réclamer la contribution révolutionnaire, Quentin, outré d'une telle impudence (réelle) et économe des deniers de son patron (ladre), l'a envoyé promener sans espoir d'obole ni de dédommagement pour le déplacement. Heureusement, il en parle négligemment au personnel :
"Quoi ? Quoi ? Tu l'as jeté comme un malpropre ? Dieu ! Grands dieux ! Miséricorde et Purgatoire, tombons a genoux ! Non, non, courons après le petit télégraphiste, et versons, versons avec nos larmes et nos supplications". Bref, un grand rodéo et un tintouin pas possible pour une somme presque dérisoire (je crois).

 
Ici, à Capurgana, depuis le départ des FARC, ce sont les "paracos" qui règnent, mais tout porte à croire qu'ils sont sur le déclin, même si, c'est vrai, ils ont pu décréter une grève générale qui a coupé la rive occidentale du golfe du reste du monde pendant 5 jours à la barbe et au nez de Bogota. Ainsi, venir à Capurgana, c'est prendre le risque de prolonger ses vacances à Kachikine, les paracos ont du bon.
Paraco signifie à la fois paramilitaire et narco, c'est un mélange peu sympathique et même délétère, représenté sur place par des gamins abusés qui ne voient pas un peso des trafics juteux. En tous cas, personne ne doit s'aventurer sottement dans la jungle à plus d'une certaine distance, ce n'est pas conseillé, la frontière est un pré carré. Tout le monde connaît les gamins qui ont promis un coup de main pour restaurer le sentier de l’Aguacate, déglingué par les mules.
  

Voilà, tout va très bien, et nous nous régalons de jus de fruits mixés par Christian, l'assistant charmant de Quentin, qui nous a à la bonne et s'ingénie à nous surprendre. La Colombie est le paradis des fruits où sept d'entre eux sont endémiques, et ont une saveur à nulle autre pareille. Nous adorons le jus de Lulo, celui de Maracuya ou de Guanabana, mais, le croirez-vous, celui d'avoine est un délice.

Pierre


jeudi 19 octobre 2017

11 - Les visiteurs du soir


A la nuit tombée, alors qu'il fait noir comme dans un four, un énorme crapaud sort de sa retraite et tout en sautillant gaillardement se dirige avec la plus grande célérité vers la gamelle du chien. Tinto étant rarement affamé, les croquettes restent attendre son bon plaisir. A Kachikine, comme souvent ici, les cuisines sont ouvertes sur l'extérieur : ceci explique cela.
Je ne sais quel prince charmant a été ainsi ensorcelé, mais ses manières laissent vraiment à désirer. Il saute dans la gamelle, sans plus de façons et mange goulûment. La gamelle étant métallique, nous sommes vite alertés.


Une charmante petite grenouille, blanche aux yeux bleus, a élu domicile dans les toilettes, de jour comme de nuit. Elle a deux emplacements favoris : soit lovée au centre du rouleau de papier, cela peut surprendre, soit aplatie comme une crêpe et scotchée sur le rideau en plastique.


Des bernard-l'ermite, tous logés dans une coquille de cigua, clopinent cahin-caha dans la cuisine, avec pour objectif déclaré les poubelles. En tant que bretons, nous sommes fort étonnés de la présence de cette espèce terrestre si aventureuse. Hier, Pierre qui faisait la vaisselle, s´est demandé ce qui lui chatouillait les pieds. C'était deux bernard-l'ermite en vadrouille. Fort heureusement les crabes restent domiciliés sur la plage.


Sylvie

PS : Autres visiteurs plus ou moins sympathiques selon moi, Pierre


 
La tarentule : celle-là est nocive car elle incite Sylvie à dormir sous une moustiquaire
qui m'emberlificote et qui m'étouffe.

Tout à fait inoffensive, Quentin la saisit avec les doigts, pas moi

 Question crocs, je n'imagine pas que les créatures les plus fluettes soient les moins bien pourvues...





 Le rapace


 Les pélicans

La frégate

Le titi

 Le paresseux